La notion de raison d'être d'une entreprise est devenue un élément central dans le paysage économique actuel. Elle représente bien plus qu'une simple déclaration d'intention : c'est un véritable engagement qui guide les actions et les décisions d'une organisation. Dans un contexte où les attentes sociétales envers les entreprises ne cessent de croître, la raison d'être apparaît comme un outil puissant pour aligner les objectifs économiques avec les enjeux sociaux et environnementaux. Elle incarne l'ADN de l'entreprise et définit sa contribution positive à la société, au-delà de la simple recherche de profit.
Définition et évolution du concept de raison d'être
La raison d'être d'une entreprise peut être définie comme sa contribution fondamentale à la société, qui dépasse le cadre strict de son activité économique. Elle exprime la façon dont l'entreprise entend jouer un rôle positif face aux défis sociaux, sociétaux et environnementaux du 21e siècle. Ce concept a considérablement évolué au fil du temps, passant d'une vision purement financière de l'entreprise à une approche plus holistique et responsable.
Historiquement, la raison d'être d'une entreprise se limitait souvent à la maximisation du profit pour les actionnaires. Cette vision, popularisée par l'économiste Milton Friedman dans les années 1970, a longtemps prévalu dans le monde des affaires. Cependant, face aux crises économiques, sociales et environnementales, cette approche a montré ses limites.
Aujourd'hui, la raison d'être s'inscrit dans une vision plus large de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elle reflète la prise de conscience que les entreprises ont un impact significatif sur leur environnement et qu'elles doivent assumer un rôle actif dans la résolution des problèmes sociétaux. Cette évolution traduit un changement de paradigme : l'entreprise n'est plus seulement un agent économique, mais un acteur à part entière de la société.
La raison d'être donne le cap pour intégrer les préoccupations sociétales au cœur de la stratégie d'entreprise.
Cette nouvelle conception de la raison d'être s'accompagne d'une réflexion approfondie sur le rôle de l'entreprise dans la société. Elle implique de repenser les modèles économiques, les pratiques managériales et les relations avec l'ensemble des parties prenantes. La raison d'être devient ainsi un véritable projet de transformation qui irrigue l'ensemble de l'organisation.
Cadre juridique et implications légales de la raison d'être
La notion de raison d'être a récemment acquis une dimension juridique, notamment en France avec l'adoption de la loi PACTE (Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) en 2019. Cette loi a introduit des changements significatifs dans le droit des sociétés, visant à mieux intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans la gouvernance des entreprises.
Loi PACTE et obligation de définir une raison d'être
La loi PACTE a modifié l'article 1833 du Code civil français, qui stipule désormais que la société doit être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Cette disposition s'applique à toutes les sociétés, quelle que soit leur taille ou leur forme juridique.
En outre, l'article 1835 du Code civil offre désormais la possibilité aux entreprises d'inscrire une raison d'être dans leurs statuts. Bien que cette démarche soit volontaire, elle traduit une volonté du législateur d'encourager les entreprises à formaliser leur engagement sociétal.
La définition d'une raison d'être n'est pas une obligation légale stricto sensu, mais elle devient de plus en plus incontournable pour les entreprises soucieuses de leur impact et de leur image. Elle représente un engagement fort vis-à-vis des parties prenantes et peut avoir des implications juridiques importantes.
Statut d'entreprise à mission selon l'article L. 210-10 du Code de commerce
La loi PACTE a également introduit le concept d'entreprise à mission
dans le Code de commerce. L'article L. 210-10 définit les conditions pour qu'une société puisse se prévaloir de cette qualité. Pour obtenir ce statut, une entreprise doit :
- Définir une raison d'être dans ses statuts
- Préciser un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux
- Mettre en place un comité de mission chargé du suivi de ces objectifs
- Faire vérifier l'exécution de ces objectifs par un organisme tiers indépendant
Ce statut va au-delà de la simple définition d'une raison d'être. Il engage l'entreprise dans une démarche structurée et contrôlée de poursuite d'objectifs sociaux et environnementaux. Les entreprises à mission bénéficient d'une reconnaissance légale de leur engagement, mais s'exposent également à des contrôles plus stricts.
Conséquences juridiques du non-respect de la raison d'être
Une fois inscrite dans les statuts, la raison d'être devient juridiquement contraignante. Son non-respect peut avoir des conséquences légales significatives. Les dirigeants pourraient être tenus responsables devant les actionnaires ou les parties prenantes s'ils prennent des décisions en contradiction flagrante avec la raison d'être définie.
De plus, pour les entreprises à mission, le non-respect des objectifs sociaux et environnementaux peut entraîner la perte du statut, avec des implications potentielles en termes d'image et de relations avec les parties prenantes. Il est donc crucial pour les entreprises de prendre au sérieux leur engagement et de mettre en place des mécanismes de suivi et de contrôle efficaces.
Méthodologie d'élaboration d'une raison d'être authentique
L'élaboration d'une raison d'être authentique et pertinente est un processus complexe qui nécessite une réflexion approfondie et l'implication de l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise. Cette démarche ne peut se résumer à un simple exercice de communication : elle doit refléter l'essence même de l'entreprise et sa contribution unique à la société.
Analyse des valeurs fondamentales et de la culture d'entreprise
La première étape consiste à explorer en profondeur l'histoire, les valeurs et la culture de l'entreprise. Il s'agit de comprendre ce qui a guidé l'organisation depuis sa création, quels sont ses principes fondamentaux et comment ils se manifestent au quotidien. Cette analyse permet de mettre en lumière l'ADN de l'entreprise et d'identifier les éléments qui la distinguent véritablement.
Cette phase d'introspection peut s'appuyer sur des entretiens avec les fondateurs, les dirigeants historiques et les collaborateurs de longue date. Elle peut également inclure une revue des documents fondateurs de l'entreprise, de ses communications internes et externes, ainsi que de ses initiatives passées en matière de responsabilité sociétale.
Cartographie des parties prenantes et intégration de leurs attentes
Une raison d'être pertinente doit prendre en compte les attentes et les besoins de l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise. Il est donc crucial de réaliser une cartographie exhaustive de ces parties prenantes : collaborateurs, clients, fournisseurs, actionnaires, communautés locales, pouvoirs publics, ONG, etc.
Une fois cette cartographie établie, il convient de mener un dialogue approfondi avec chacune de ces parties prenantes pour comprendre leurs attentes vis-à-vis de l'entreprise. Ce dialogue peut prendre diverses formes : enquêtes, focus groups, entretiens individuels, forums de discussion en ligne, etc. L'objectif est de recueillir une vision à 360 degrés des enjeux auxquels l'entreprise doit répondre.
Techniques de co-construction et d'intelligence collective
L'élaboration d'une raison d'être ne doit pas être l'apanage de la direction ou d'un petit groupe de travail. Pour être authentique et fédératrice, elle doit impliquer le plus grand nombre possible de collaborateurs et de parties prenantes. Les techniques d'intelligence collective sont particulièrement adaptées à cet exercice.
Des ateliers de co-construction peuvent être organisés, réunissant des représentants de différents services, niveaux hiérarchiques et parties prenantes externes. Ces ateliers peuvent s'appuyer sur des méthodes créatives comme le design thinking
ou le world café
pour favoriser l'émergence d'idées innovantes et l'expression de tous les participants.
La co-construction de la raison d'être est essentielle pour garantir son authenticité et son appropriation par l'ensemble des parties prenantes.
Validation et formalisation de la raison d'être
Une fois les différentes contributions recueillies et analysées, vient l'étape cruciale de la formalisation de la raison d'être. Il s'agit de synthétiser l'essence de l'entreprise et sa contribution sociétale en une formulation concise, inspirante et porteuse de sens. Cette formulation doit être suffisamment précise pour guider l'action, tout en restant assez large pour permettre une adaptation aux évolutions futures.
La validation finale de la raison d'être implique généralement plusieurs allers-retours entre la direction, le conseil d'administration et les principales parties prenantes. Il est important de s'assurer que la formulation retenue reflète fidèlement les ambitions de l'entreprise et qu'elle soit comprise et acceptée par tous.
Impact de la raison d'être sur la stratégie d'entreprise
Une fois définie et formalisée, la raison d'être ne doit pas rester lettre morte. Elle doit au contraire devenir le fil conducteur de la stratégie et des opérations de l'entreprise. Son impact doit se faire sentir à tous les niveaux de l'organisation, depuis les décisions stratégiques jusqu'aux pratiques quotidiennes.
Alignement des objectifs opérationnels avec la raison d'être
La première étape consiste à revoir l'ensemble des objectifs opérationnels de l'entreprise à l'aune de la raison d'être. Cela implique de s'interroger sur la contribution de chaque activité, de chaque projet, de chaque département à la réalisation de cette raison d'être. Les objectifs qui ne s'inscrivent pas dans cette logique doivent être questionnés, voire abandonnés.
Cette démarche d'alignement peut conduire à une refonte des indicateurs de performance. Au-delà des traditionnels KPI financiers, il devient nécessaire d'intégrer des indicateurs sociaux, environnementaux et sociétaux. Ces nouveaux KPI doivent permettre de mesurer concrètement la progression de l'entreprise vers la réalisation de sa raison d'être.
Transformation du modèle économique et de la chaîne de valeur
Dans certains cas, la raison d'être peut impliquer une transformation en profondeur du modèle économique de l'entreprise. Il peut s'agir, par exemple, de repenser les sources de revenus pour privilégier des activités à plus fort impact social ou environnemental, ou de modifier la structure de coûts pour intégrer les externalités positives et négatives de l'activité.
La chaîne de valeur doit également être examinée sous l'angle de la raison d'être. Cela peut conduire à revoir les critères de sélection des fournisseurs, à repenser les processus de production pour réduire l'impact environnemental, ou encore à modifier les modes de distribution pour favoriser l'accessibilité des produits ou services.
Intégration de la raison d'être dans les processus décisionnels
Pour avoir un impact réel, la raison d'être doit être intégrée dans tous les processus décisionnels de l'entreprise. Cela implique de former l'ensemble des collaborateurs, et en particulier les managers, à l'utilisation de la raison d'être comme boussole stratégique.
Concrètement, cela peut se traduire par l'introduction systématique d'une évaluation de l'impact sur la raison d'être dans les processus de validation des projets. Les comités de direction et les conseils d'administration doivent également intégrer cette dimension dans leurs délibérations, en se posant systématiquement la question : "Cette décision nous rapproche-t-elle de notre raison d'être ?"
Mesure et évaluation de l'impact de la raison d'être
La définition d'une raison d'être ne peut se limiter à une déclaration d'intention. Pour être crédible et efficace, elle doit s'accompagner d'un dispositif robuste de mesure et d'évaluation de son impact. Cette démarche permet non seulement de rendre des comptes aux parties prenantes, mais aussi d'ajuster en permanence la stratégie de l'entreprise pour maximiser sa contribution positive à la société.
Indicateurs clés de performance (KPI) liés à la raison d'être
La première étape consiste à définir des indicateurs clés de performance (KPI) spécifiquement liés à la raison d'être. Ces KPI doivent permettre de mesurer de façon concrète et quantifiable les progrès réalisés dans la poursuite des objectifs sociaux, environnementaux et sociétaux de l'entreprise.
Par exemple, une entreprise dont la raison d'être est axée sur la lutte contre le changement climatique pourrait suivre des KPI tels que :
- La réduction des émissions de gaz à effet de serre en valeur absolue et relative
- La part d'énergies renouvelables dans le mix énergétique de l'entreprise
- Le nombre de produits ou services développés contribuant à la transition écologique
Il est crucial que ces KPI soient SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporellement définis) pour garantir leur pertinence et leur efficacité.
Méthodes d'audit et de reporting extra-financier
Au-delà des KPI internes, les entreprises doivent également mettre en place des méthodes d'audit et de reporting extra-financier pour évaluer l'impact de leur raison d'être. Ces méthodes permettent de fournir une vision objective et transparente de la performance de l'entreprise en matière de responsabilité sociétale.
Parmi les méthodes les plus couramment utilisées, on peut citer :
- Le reporting intégré, qui combine informations financières et extra-financières dans un rapport unique
- Les normes GRI (Global Reporting Initiative), qui fournissent un cadre standardisé pour le reporting développement durable
- La certification B Corp, qui évalue l'impact social et environnemental global d'une entreprise
Ces méthodes d'audit et de reporting doivent être adaptées à la raison d'être spécifique de l'entreprise. Elles peuvent inclure des évaluations qualitatives, comme des études d'impact social, en complément des indicateurs quantitatifs.
Outils de pilotage et tableaux de bord RSE
Pour intégrer pleinement la raison d'être dans le pilotage de l'entreprise, il est essentiel de développer des outils de gestion adaptés. Les tableaux de bord RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) sont particulièrement utiles à cet égard. Ils permettent de suivre en temps réel l'évolution des KPI liés à la raison d'être et de les mettre en perspective avec les objectifs financiers de l'entreprise.
Un tableau de bord RSE efficace devrait inclure :
- Une synthèse des principaux KPI liés à la raison d'être
- Une comparaison entre les objectifs fixés et les résultats obtenus
- Une analyse des tendances sur le long terme
- Des alertes en cas d'écart significatif par rapport aux objectifs
Ces outils de pilotage doivent être accessibles à l'ensemble des décideurs de l'entreprise et faire l'objet de revues régulières au niveau du comité de direction et du conseil d'administration.
La raison d'être apparaît comme un outil puissant pour aligner les intérêts de l'entreprise avec ceux de la société dans son ensemble. Elle permet de donner du sens à l'activité économique, de mobiliser les collaborateurs autour d'un projet commun et de répondre aux attentes croissantes des consommateurs et des citoyens en matière de responsabilité sociétale. Cependant, pour être véritablement efficace, elle doit s'accompagner d'une transformation en profondeur des pratiques de l'entreprise, d'une gouvernance adaptée et d'outils de mesure permettant d'évaluer concrètement son impact.